Dans un contexte où la durabilité et l’optimisation des espaces deviennent des priorités, le designer Bruno Lefebvre, fondateur avec sa femme Catherine de l’agence C+B Lefebvre, nous livre sa vision des tendances actuelles de la cuisine équipée et de l’habitat.
- Une cuisine réparable pour une vraie durabilité.
- Des besoins qui évoluent avec les modes de vie.
- Personnalisation et audace dans le design.
Une cuisine pensée pour durer, mais pas encore réparable
« Nous ne pouvons pas vraiment parler de grande révolution concernant les grandes tendances et les styles d’aménagement d’intérieur et la cuisine équipée. Il y a sûrement une cuisine avec des couleurs qui la rendent la belle cuisine d’un magazine. Ce qui est vrai aussi, c’est qu’il y a une crise de la consommation, mais il y a des valeurs qu’on doit intégrer, voire privilégier, telles que le respect de l’environnement », explique Bruno Lefebvre [1.1].
Mais pour concevoir des cuisines véritablement durables, il ne suffit pas de se concentrer sur les matériaux. « Réaliser des cuisines plus durables ne veut pas dire seulement travailler sur les matériaux, mais aussi et surtout travailler pour qu’elles puissent être réparées et adaptées. Aujourd’hui, une cuisine n’est peu réparable ni évolutive, et c’est bien cela le vrai concept de durabilité », poursuit-il.
La durée de vie moyenne d’une cuisine en France est d’environ quinze ans. Toutefois, la qualité de fabrication n’étant pas toujours à la hauteur, les meubles ne sont pas non plus conçus pour être réparables. Bruno Lefebvre pointe également du doigt un autre problème : « Le profil des poseurs présente encore quelques failles, car ils n’ont pas tous des compétences en menuiserie ».
Une prise de conscience écologique essentielle
L’impact environnemental du secteur est une préoccupation majeure. « Le sujet de l’écoresponsabilité est très important aujourd’hui. Quasi un million de tonnes de déchets par an sont produites en France, ce qui provoque une débauche de matière et une augmentation accrue des émissions de CO₂ », alerte Bruno Lefebvre. Concernant l’électroménager, une avancée significative a été réalisée avec l’introduction d’indices de réparabilité. « Il faut l’avouer : c’était insupportable d’acheter un appareil électroménager qui ne durait que deux ans », ajoute-t-il.
Des équipements adaptés aux nouveaux modes de vie
Les besoins des consommateurs évoluent, notamment en termes de stockage et de consommation énergétique. « Il y a et il y aura des évolutions dans la consommation : on mange plus de légumes et de légu-mineuses, donc nous aurons besoin de plus d’espace pour les stocker correctement », souligne Bruno Lefebvre. Il évoque également une autre tendance émergente : « La filtration de l’eau devient un sujet clé dans les cuisines d’aujourd’hui ».
L’évolution des attentes pousse les fabricants à proposer des cuisines avec des niveaux de consommation plus faibles. « On va vers une tendance à réaliser des cuisines conçues avec des niveaux de consommation bien plus faibles », précise le designer.
La personnalisation et le retour du rétro
Si le design minimaliste reste une référence, la personnalisation gagne du terrain. « Il faut que la cuisine s’adapte aux besoins d’ergonomie. Il y a une couleur naturelle qui est tendance et qui parle, qui raconte quelque chose, qui parle de valeurs qui nous correspondent », explique Bruno Lefebvre.
Interrogé sur les préférences selon les générations, il répond : « Plus qu’une tendance, c’est une question financière. Les cuisines haut de gamme, très modernes, sont privilégiées par les seniors qui ont la possibilité d’y investir. En revanche, les plus jeunes optent pour des solutions plus créatives et moins bourgeoises ». Les tendances couleurs évoluent également. « L’avantage du minimalisme est qu’il parle un peu à tout le monde. Les couleurs plus neutres, en gros, arrivent à mieux s’accorder au reste de l’aménagement intérieur de la maison. Mais il y a aussi des tendances audacieuses. Par exemple, notre projet de barbecue haut de gamme Montvel [1.2] a vu la couleur mandarine très plébiscitée, contrairement aux attentes qui misaient sur des propositions plus sobres ».
Enfin, il met en garde contre le phénomène du greenwashing : « Aujourd’hui, le produit doit pouvoir transmettre un message éthique, plus écologique et durable. Et par rapport à ce sujet crucial, il faut faire attention au greenwashing, qui est, hélas, toujours présent. Seule une approche systémique intégrant l’ensemble des impacts, de l’approvisionnement à la fin de vie en passant par l’usage, permettra de progresser. Par ailleurs, la cuisine peut devenir active en incitant à des modifications de comportements ».
Optimisation des espaces et innovations durables
Les consommateurs recherchent des vraies solutions optimisant les espaces tout en étant durables de tous points de vue. « Il faut que la cuisine devienne, pas seulement durable, mais réparable et incitative. Et il faut que les espaces de vie soient réellement optimisés », affirme Bruno Lefebvre.
Son agence, C+B Lefebvre, développe des projets en accord avec ces attentes. Il cite notamment le projet Miximum [1.3] pour la salle de bains, projet expérimental qui allie design épuré, dimensions réduites, matériaux recyclés et changement comportementaux. « Le corps du meuble de cette salle de bains pèse 16 kg au lieu de 40. Et il est complètement accessoirisé, avec la partie en bois qui mesure un millimètre d’épaisseur. Avec ce projet, nous avons montré comment limiter son impact sur l’environnement en s’adaptant aux surfaces réduites des espaces urbains ». Parmi les innovations marquantes, on trouve également un légumier [1.4] développé pour Schmidt Groupe. Cet équipement permet de stocker fruits et légumes hors du réfrigérateur, tout en optimisant leur conservation. « Il permet de stocker de manière optimale des fruits et légumes qui supportent mal les séjours au froid du réfrigérateur. En les conservant à l’abri de la lumière et des insectes, ces denrées préservent leurs qualités gustatives », détaille-t-il.
Cette solution simple, fonctionnelle et écologique se compose de plateaux mobiles intégrés dans un meuble dont la façade est pensée pour améliorer la ventilation et empêcher l’entrée des moucherons. « Le développement produit a permis de proposer un ensemble cohérent dont tous les composants sont produits localement », conclut Bruno Lefebvre.
Sarah Jay De Rosa